Les autres résultats:
- Meilleure série dramatique: LOST
- Meilleure série d'animation: SOUTH PARK
- Meilleure mini-série ou téléfilm: THE LOST PRINCE
- Meilleur acteur comique: TONY SHALHOUB (Monk)
- Meilleur acteur dramatique: JAMES SPADER (Boston Legal)
- Meilleure actrice dramatique: PATRICIA ARQUETTE (Medium)
- Meilleur second role masculin comique: BRAD GARRETT (Tout le monde aime Raymond)
- Meilleur second-role masculin dramatique: WILLIAM SHATNER (Boston Legal)
- Meilleur second-role féminin comique : DORIS ROBERTS (Tout le monde aime Raymond)
- Meilleur guest-star masculine comique: BOBBY CANAVALE (Will & Grace)
- Meilleur guest-star masculine dramatique: RAY LIOTTA (Urgences)
- Meilleur guest-star féminine dramatique: AMANDA PLUMMER (New York Unité Spéciale)

En portraiturant les femmes au foyer d'une banlieue chic, Marc Cherry, auteur de Desperate Housewives, sonde sous les brushings impeccables des gouffres bien amers. Fascinant et décapant.

 Chaque jour livre son lot de mensonges. Les pires sont ceux que l'on se raconte, le soir, avant de dormir. Des mensonges formulés dans l'obscurité pour se convaincre que l'on est heureux, que l'autre est heureux... Chaque nuit, avant de s'endormir, on se ment. Avec l'espoir, totalement désespéré, qu'au petit matin, tout sera vrai. » On se croirait dans un drôle de conte de fées. La voix est douce, posée, sereine. Elle introduit et conclut chaque épisode de Desperate Housewives, la série américaine qui renouvelle le soap, ce genre de feuilleton-fleuve qui multiplie intrigues familiales et rebondissements sentimentaux. Ici, la narratrice se nomme Mary Alice. Irréprochable femme au foyer, elle vivait dans la quiétude de Wisteria Lane, rue proprette aux maisons et jardins soignés d'une coquette banlieue américaine. Vivait ? Oui, car Mary Alice n'est plus. 

Un matin, elle s'est logé une balle dans la tête. Depuis, elle pose son regard détaché et bienveillant sur les gesticulations et agissements de ses anciennes meilleures amies et voisines, toutes légèrement bouleversées par le geste inexplicable de leur copine modèle. Légèrement, seulement, parce que les femmes de Wisteria Lane ne se préoccupent pas officiellement des secrets et soucis de leurs voisins-voisines. C'est le moyen le plus sûr, croient-elles, pour qu'on ne se mêle pas des leurs. N'empêche, il en faut peu pour détecter, derrière les façades impeccables, les sourires radieux et la félicité affichée, l'angoisse, la déception et la frustration qui emplissent l'existence de Susan, Lynette, Gabrielle et Bree, jolies quadras empêtrées dans l'enfer du bonheur domestique. Quatre « femmes au foyer désespérées », qui ont sérieusement bousculé et épicé l'ordinaire servi sur les networks outre-Atlantique. Quatre personnages piquants qui ont captivé, semaine après semaine, plus de vingt-deux millions de téléspectateurs en moyenne (avec des pointes à trente millions). Desperate Housewives est un véritable phénomène de société. 

« Ça prouve que les Américains aiment la nouveauté. Par frilosité, les chaînes gavent le public de programmes répétitifs, de sempiternelles resucées de shows à succès, mais dès qu'on ose proposer quelque chose de différent, on entend un énorme cri de soulagement. » Marc Cherry, le créateur comblé de la série, a de quoi jubiler. Le triomphe surprise de Desperate Housewives a pour lui un savoureux goût de revanche. Jusqu'à l'an dernier, Marc Cherry avait pour seul titre de gloire d'avoir collaboré, à la fin des années 80, aux Golden Girls, série comique sur une bande de mamies permanentées. Le parfait ringard en somme. La quarantaine sonnée, il en était même réduit, il y a trois ans, à vivre chez sa maman. Une mère rigide mais, bien sûr, formidable, avec laquelle il regarde beaucoup la télé. Un jour, ils voient une émission sur une femme qui, poussée à bout, a tué son enfant. Marc se tourne alors vers maman : « Comment peut-elle en être arrivée là ? - Oh, mais je comprends parfaitement », lui répond-elle. Le vieux garçon est abasourdi. Mais tandis qu'un monde s'effondre (« Ma mère, si parfaite, n'était donc pas totalement épanouie à s'occuper de moi et de mes deux soeurs du matin jusqu'au soir ? »), Cherry a une révélation : « Ça doit être le cas de presque toutes les mères au foyer, alors ! ». 

Quelques jours plus tard, Cherry tapait les premières pages de Desperate Housewives. Un show d'Oprah Winfrey consacré à des femmes déprimées par la maternité, est venu, comme un signe d'encouragement, confirmer son intuition : un tabou, inexploité dans la fiction télé, se brisait. « J'étais sûr de mon coup, poursuit Cherry. Je voyais déjà les studios à genoux devant moi. Mais lorsque mon agent leur a expédié le scénario, pas un n'a daigné répondre. Puis, le destin m'a obligé à changer cet agent qui s'est révélé être un escroc. » Le nouveau parcourt le scénario. Enthousiaste, il demande comment Cherry a essayé de le vendre. «&nsbp;Eh bien, comme une satire un peu sombre ! - Imbécile, c'est un soap ! lui hurle-t-il. Rajoute des gags et du mystère et le tour sera joué ! » Cherry met alors son sens foudroyant du dialogue et du récit au service d'un scénario inspiré, entre autres, de Chaînes conjugales, de Mankiewicz (rivalité féminine), de Sunset Boulevard, de Billy Wilder (récit d'un défunt), d'Edward aux mains d'argent, de Tim Burton (beauté irréelle du décor), d'American Beauty, de Sam Mendes (existence en banlieue pavillonnaire), ainsi que des séries Sex and the city et Six Feet under. « C'est la variété de mes sources d'inspiration qui fait l'originalité de mon histoire. » Quitte à rêver, il songe à Nicole Kidman, à Julia Roberts et à Catherine Zeta-Jones en dessinant ses rôles principaux. ABC, la grande chaîne de network qui diffuse également Lost, est emballée. A raison. Avec son image ultraléchée, son vernis d'étrangeté et son semblant de dialogues inconvenants, Desperate Housewives est l'exemple le plus abouti d'une série très grand public, aux allures d'oeuvre d'auteur un peu hardie. Bien sûr, Marc Cherry peut s'enorgueillir d'avoir introduit un style réservé au public plus exigeant et plus ouvert du réseau câblé. Avec son traitement psychologique fouillé, l'emploi intensif d'ironie et de causticité, les commentaires récurrents d'un personnage-clé décédé (comment ne pas penser à Six Feet under ?), il se joue des non-dits de la télé populaire. C'est même en les creusant, en cassant la tradition du bavardage incessant de personnages archétypes qu'il donne un sacré coup de jeune au soap. 

Lorsqu'elles mettent en scène un groupe de femmes, les séries présentent d'ordinaire des copines qui passent leur temps à se confier et à s'épauler en se racontant tout. Les femmes de Wisteria Lane oeuvrent, elles, dans la dissimulation, la préservation des apparences et tentent de régler seules leurs problèmes personnels. Et c'est cette réalité, propre à un certain esprit banlieue chic américaine, qui a constitué sans nul doute l'attrait de la série. D'autant plus qu'il n'est pas difficile pour les téléspectatrices de s'identifier, de s'attendrir ou de prendre en grippe les personnages créés par Cherry et remarquablement incarnés par leurs comédiennes respectives. « Des féministes m'ont attaqué en prétendant que je ramenais les femmes cinquante ans en arrière. Mais je vois surtout que mes personnages, toutes femmes au foyer qu'elles sont, sont incroyablement actives. Elles font un vrai, un réel travail ! », constate Cherry. Discours que les défenseurs de vertu les plus réactionnaires n'ont aucun mal à s'approprier... 

Si, dans Desperate Housewives, les hommes sont assez nuls (comprenez, lâches, volages et insignifiants), exception faite du beau pseudo-plombier Mike (« l'homme fantasme idéal de la femme au foyer&nsbp;», selon Cherry), les femmes sont dotées de sacrés tempéraments. Lynette Scavo (Felicity Huffman), à bout de nerfs, brillante executive woman, a largué sa carrière pour s'occuper de son épuisante marmaille, un nourrisson et trois petits garçons insupportables. Gabrielle Solis (Eva Longoria), la très canon et vénale épouse d'un riche macho escroc latino, trompe son ennui avec son jardinier de 17 ans. La gentille Susan Mayer (Teri Hatcher, vue autrefois dans Lois et Clark), charmante divorcée fleur bleue et sacrément gaffeuse, élève une adolescente plus mûre qu'elle. Et la glaçante et trop parfaite Bree Van De Kamp (fabuleuse Marcia Cross, ex-Melrose Place), psychorigide que tout le monde admire sauf son mari et ses enfants. Bref, quatre grands types de femmes passablement hystériques, aptes à séduire un public féminin, mais aussi le mâle hétérosexuel moyen, sensible à l'indéniable sex appeal de ces ménagères sensuelles. Sans oublier le public gay que Marc Cherry, homosexuel revendiqué, connaît bien. « J'adore les femmes à forte personnalité. Je les connais mieux que la plupart des hommes qui ne leur parlent et ne les écoutent pratiquement jamais. » 

L'inflexible et puritaine Bree n'est-elle pas, d'ailleurs, directement calquée sur sa mère ? Une républicaine pur jus aux principes ultraconservateurs que Marcia Cross joue avec autant de distance que de conviction. « Je ne suis d'accord avec aucune des idées que cette femme incarne et je dois parfois me faire violence pour respecter les indications de Marc. Mais, après tout, il connaît mieux que moi la nature profonde de son personnage. Et mettre au jour le mécanisme intérieur n'est pas une mauvaise chose », explique-t-elle. Bree n'est-elle pas capable de couvrir le crime de son fils afin de préserver l'ordre et la respectabilité du foyer ? « Déroger à ses principes moraux pour mieux les défendre », telle serait la devise ambiguë de la plupart des protagonistes de Desperate Housewives. Et le secret de sa réussite. 

En questionnant comme il le prétend les valeurs de l'Amérique républicaine, Marc Cherry laisse ouvertes toutes les interprétations. Ainsi, ce que le public libéral perçoit dans Desperate Housewives comme une dénonciation d'une certaine hypocrisie, est vu par les conservateurs comme un plaidoyer pour un retour aux valeurs d'antan... Subtile distance qu'on ne retrouve pas dans ses propos, autrement plus tranchés : « Dans toutes les fictions, on voit désormais des gens sauter de lit en lit sans qu'on s'interroge jamais sur le malheur que peuvent générer pareils comportements chez les enfants ou le conjoint trompé... Alors qu'on n'a plus le droit de critiquer qui que ce soit aujourd'hui, ma série met, elle, les pieds dans le plat : pourquoi ne jugerions-nous pas ceux qui agissent mal ? » 

Mesquinerie, convoitise et perfidie. Desperate Housewives dévoilerait donc toutes les horreurs dont nous sommes capables afin de protéger notre bonheur. C'est terrifiant. Et, surtout, assez hilarant. 

(retranscription: Jo)

«Desperate Housewives», série féroce et drôle sur la misère des femmes au foyer, débarque en France après avoir décapé l'Amérique.

Par Isabelle POTEL et Françoise-Marie SANTUCCI

Après avoir soigneusement rangé sa cuisine, Mary-Alice Young, mère au foyer très comme il faut, se tire une balle dans la tête. Pendant 23 épisodes de 45 minutes, ses quatre voisines et néanmoins copines, habitant comme elle Wisteria Lane, sorte d'éden caricatural des classes supérieures américaines (maisons coquettes, jardins sans barrière, propreté maladive), essaient de comprendre comment pareil drame a pu survenir. Enfin, quand elles disposent de trois minutes, puisque rien ne nous est épargné de leur labeur quotidien de femmes débordées. Pour la première fois dans l'histoire de la fiction télé, quelqu'un, quelque part, s'intéresse aux ménagères, non pour leur farcir le crâne, mais pour les regarder en face. Et la réponse ne se laisse impressionner par aucun tabou : être femme au foyer (housewife), c'est vivre au bord du désespoir.

Le panier de désillusions de la ménagère

Après les séries comme Ally McBeal ou Sex and The City, qui creusaient le sillon des trentenaires occidentales à la recherche de l'homme rêvé, Desperate Housewives se transporte chez ces mêmes femmes dix ans plus tard, une fois le mâle en question épousé et une tonne de désillusions en travers du gosier. La quarantaine à la maison avec enfants, même avec de l'argent ? Rien de moins sexy, rien de plus ringard sur l'échelle de la branchitude mondialisée : corvées incessantes, épuisement, soucis affectifs chroniques, ingratitude. Pas de quoi s'étonner si le créateur de la série Marc Cherry, qui se penche avec une passion d'entomologiste sur ce quotidien féminin-là, est homosexuel. Il faut sans doute se tenir loin des femmes pour disposer d'un tel recul. Marc Cherry, donc, grimpe sur les toits et crie aux mâles hétéro: si vous voulez savoir pourquoi vos femmes sont givrées, c'est le moment ou jamais ! A ce propos, c'est n'avoir rien compris à la série que de commencer sa diffusion en France la semaine de la rentrée scolaire (n'y a-t-il aucun programmateur qui ait idée du cauchemar que représente pour les mères la couverture des livres scolaires ?). 

Au bord de la crise de nerfs

Il y a Mary-Alice Young (Brenda Strong), la suicidée dont les sales petits secrets servent de fil rouge. Assez cool depuis qu'elle a tiré sa révérence, elle se désole en voix off post mortem de voir ses contemporaines continuer à marner sur le tarmac de la réalité. Ses copines sont donc Susan Mayer (Teri Hatcher), la femme divorcée, mère d'une adolescente et dessinatrice pour enfants ; Lynette Scavo (Felicity Huffman), l'ex-killeuse de la pub désormais génitrice au bord de la crise de nerfs de quatre gamins ingérables ; Bree Van De Kamp (Marcia Cross), l'épouse parfaite, fine gâchette républicaine, fan de Reagan et mère de deux adolescents ; et aussi, jeunette parmi ces quadras, la Latino sexy Gabrielle Solis (Eva Longoria), qui refuse de se laisser piéger (des enfants ? «Over my dead body», «plutôt mourir»), trompe son mari avec le jardinier de 17 ans et ne trouve la félicité que dans le shopping. Enfin, la croqueuse d'hommes Edie Britt (Nicollette Sheridan), faire-valoir à son corps défendant de ces dames : sans attache, elle est le point focal de la série, se posant la question de savoir si sa liberté est pitoyable ou enviable (grande interrogation des temps modernes). Si toutes ont un charme certain, le personnage de Bree Van De Kamp se situe un cran au-dessus. Chouchoute de Marc Cherry (qui nous dit ci-contre pourquoi il l'affectionne particulièrement), Bree est un monstre, sorte de résumé sans cesse refoulé de la condition féminine. A force de perfectionnisme, de conviction et de dévouement, Bree, rongée par la maniaquerie, est devenue la bête noire de son fils et de son mari. Pas idiot, celui-ci toutefois s'accroche, sachant bien qui fait le sale boulot, l'admirant secrètement, peut-être, pour son courage. 

Secrets de famille

La série explore sans complexe tous les rebondissements liés au suicide de Mary-Alice, tel un psycho-thriller agité, bien qu'en chambre : incendie criminel, chantage, vols, meurtres, prostitution, relations sadomaso, secrets de famille gratinés. Mais Desperate... décrit avant tout un enfermement. Sous le vernis de ces dames et leurs impeccables brushings, sous leur volonté farouche de sauver les apparences, la solitude et la folie triomphent. Ce n'est pas d'aujourd'hui que des films américains montrent l'étrangeté morbide des quartiers résidentiels comme autant de huis clos borderline. 

La série bricole à un niveau plus bête, dira-t-on, et plus universel. En appliquant l'outrance délicieusement abjecte d'Absolutely Fabulous et de son tandem dessalé haute couture à des femmes banales, c'est-à-dire normalement aliénées, la série montre justement l'ampleur de leur aliénation. Produit de masse faisant retour sur la vie matérielle (à l'ère numérique, qui continue de se taper les merdes basiques de l'existence ?), Desperate Housewives hisse au rang d'héroïnes romanesques les desperados de l'insignifiance. Et c'est une première.

Féministe

A Wisteria Lane, on observe une population qui vit comme dans une réserve, coupée de tout. Cette rue dont on ne sort jamais, ces maisons où pas un poste de télé ni une conversation ne rappellent l'existence du monde extérieur, est l'exacte métaphore de l'espace mental de la mère de famille qui n'a pas le temps de sauver le monde (alors à quoi bon s'en occuper). Avec ses couleurs acidulées et sa nostalgie d'on ne sait quelle idéalité banlieusarde rappelant Loin du paradis de Todd Haynes, Desperate Housewives avance sur un chemin étroit. Les féministes américaines (1) débattent encore du côté réactionnaire de la série (et ses valeurs famille, patrie, cookies).

On peut au contraire créditer Desperate Housewives d'un regard corrosif sur le degré zéro de politisation des femmes blanches et hétéro des classes moyennes. On la qualifierait même de progressiste parce qu'elle fait l'effort de s'intéresser à un vécu, celui des «bonnes femmes», qui est justement zappé par ceux qui ont le devoir de réfléchir, les intellectuels. En attendant que Virginia Woolf et sa Chambre à soi (1929), prônant l'indépendance et le droit au calme pour les femmes, soient rendues obligatoires dans les écoles du monde, le désespoir régnera dans les chaumières.